Impressions de lecture : NAUFRAGE, Vincent Delecroix, Editions Gallimard 2023

Novembre 2021, 27 migrants trouvent la mort en traversant la Manche vers l’Angleterre.

L’enregistrement des paroles, adressées par l’opératrice du centre de surveillance à un migrant en détresse, fait scandale : « tu n’entends pas, tu ne seras pas sauvé ».
Cette phrase est le détonateur du roman de Vincent Delecroix, Naufrage aux Éditions Gallimard. Écrivain et philosophe, l’auteur donne chair à l’opératrice et aux migrants en perdition.

La première partie, à la première personne, donne la parole à la jeune femme, interrogée par la gendarmerie. Elle se défend, argumente, en toute rationalité, sans émotion ni remords apparents. La deuxième partie met en scène le naufrage, de manière factuelle et directe. Un récit terrible, sans pathos et pourtant incarné dans les personnages qui vivent ce naufrage. Dans la troisième partie, la jeune femme, seule face à la mer, revient sur ce qui lui est arrivé. Ses lignes intérieures bougent, imperceptiblement. L’opacité du personnage demeure.

Le roman est percutant par la sobriété de son écriture, la description rigoureuse des faits et des états d’âme, et l’acuité des questions qu’il pose.

Qui est responsable ? Un individu ? Une équipe ? Le système de secours ? La mer ? Le monde ? Nous tous, soulagés de trouver en cette femme un bouc émissaire qui nous libère de la responsabilité, de la culpabilité ?

Vincent Delecroix nous taraude par ses questions sur l’insensibilité, la solitude, la peur, le manque d’imagination, la faculté à gommer ce qui dérange. Il pose, dans ce cas de figure tragique et saisissant, la grande question du Mal. Cette femme est-elle un monstre, une victime, les deux à la fois ? Aucune réponse ne vient épuiser le sujet et c’est la grande force du roman. La phrase finale : « tu n’entends pas, tu ne seras pas sauvé », si elle s’adresse aux migrants, fait ricochet, sur la jeune femme, sur nous tous.

Je suis sortie de cette lecture effarée, triste, inquiète mais d’une inquiétude fertile. Reste l’espérance : qu’une grande maison d’édition comme Gallimard ait permis à ce livre d’exister n’est-il pas un autre signe des temps ?

Midola